J’avais, encore trop jeune, manqué le
« voyage » en Indochine. Dien Bien Phu, je l’avais
vécu, comme tous mes copains, au Garde à Vous devant
le monument aux Morts de l’École.
Cette fois ci, il
m’était proposé de rejoindre la « Grande île
» pour y passer mes grandes vacances.
Mon Père m’avait donné le
feu
vert depuis là-bas ! A moi
de me débrouiller pour les vaccins,
le Passeport, le paquetage.
Orphelin de Mère, dès ma naissance, j’avais été élevé par mes Grands Parents
paternels, en Bretagne. J’avais déjà trois années de « boite » aux Andelys. J’étais un Ancien
et j’allais passer de l’autre côté de l’Allée centrale. Tout un symbole ! Les EMP’S des Andelys se souviendront de ce
passage obligé pour être parmi
les « Grands ».
Au départ, tout paraissait simple : je connaissais assez bien Paris pour y avoir souvent
« glandé » (notre vocabulaire de l’époque) entre mon arrivée à 07 heures du matin, gare du
Maine, en provenance de mon village natal KEROMNES en GOURIN et
notre départ tous
groupés dans le train en partance, gare SAINT Lazare, à destination de GAILLON et LES ANDELYS. Ce fameux et mémorable train de 17 heures
55 ! Cette fois ci, c’était une autre affaire : j’allais effectuer un voyage intercontinental !
Après une nuit passée au Centre de Transit de Reuilly, j’avais récupéré mes billets d’avion et pu rejoindre sans trop de difficultés l’ aéroport d’Orly.
J’allais embarquer sur un quadrimoteur de la TAI ( Transports Aériens Intercontinentaux !) en
partance pour TANANARIVE avec escale à DJIBOUTI.
A priori tout était clair. Le toubib des Andelys, le Commandant REVERSAT, m’avait truffé de
vaccins aidé en cela par le Centre de Vaccination antiamarile PASTEUR. J’étais donc vacciné contre la fièvre jaune,
la variole, le choléra, la polio…et autres TAB !
Peu de temps avant mon départ, lorsque je fantasmais sur mon voyage,
avec mes camarades de chambrée, je parlais de « Yellow fever » et
de « Small pox »….Ça classait son homme !!
Enfin, le 4 juillet 1956 j’allais commencer un voyage,
qui allait être certainement
la plus grande aventure de ma pré adolescence,
marqué par cinq incidents mémorables……
Le Voyage :
Dès le départ, je fus très entouré. Deux femmes, jeunes et jolies, s’intéressèrent à
moi. La première, une hôtesse de l’air, me prit officiellement en compte à
l’embarquement (ça ne m’est plus jamais arrivé …) La
seconde était
l’épouse
d’un militaire qui rejoignait son mari à Madagascar et avait largement dépassé
son droit autorisé en bagages. Ne possédant, personnellement, qu’une petite valise, elle me
sollicita pour prendre, à
mon
compte, son excédent de colis….Je m’empressai de lui donner satisfaction. La
suite prouva que j’avais eu tort ...
Je passerai sur l’émotion du premier décollage de ma
vie,
du premier atterrissage
à …… NICE, pour y embarquer quelques résidents du sud de la France.
Tout était
merveilleux ! Puis je quittai enfin le sol français pour….DJIBOUTI
. Diable non ! après trois heures de vol, le Commandant de bord nous annonça une avarie de moteur !
…..heureusement il y en avait quatre !...et que nous allions devoir nous poser, D.Q.P (dès que
possible) à ….TRIPOLI en LIBYE. C’était bien ma
veine.
La panne étant importante on nous invita à prendre notre déjeuner au restaurant de l’aéroport. Il y avait du « Chianti » sur les tables (ex.colonie italienne oblige !) et une
température extérieure d’environ 40° à l’ombre. Une cigarette après le dessert pour faire comme tout le
monde, je
sortis de table…..ivre ! Là, eut lieu le premier incident, au moment de monter dans
l’avion. L’esprit « troublé », c’est un euphémisme, par la chaleur, la cigarette et …le reste,
je ne suivis pas l’itinéraire prescrit pour rejoindre la passerelle et…passai sous les hélices… Sévèrement réprimandé par le commandant
de bord, je
devins dans la minute, l’ennemi
« Numéro 1 » de ma
chère hôtesse convoyeuse !
L’escale suivante fut bien :
DJIBOUTI
Pressé de sortir, après avoir été
« fleetoxé » par des agents de l’aéroport qui avaient envahi l’avion dès l’ouverture des portes, je fus anéanti par la chaleur étouffante et
moite qui régnait
dehors.
Une seule envie, retourner au plus vite dans la carlingue pour y retrouver l’air … climatisé.
Je passai cependant deux heures sur cet aéroport à regarder les énormes insectes et
papillons de
nuit
qui s’agglutinaient autour et au
pied des projecteurs de piste. Ce fut donc avec une joie non dissimulée que nous remontâmes tous dans l’avion.
Un autre incident, cette fois plus agréable, allait
m’arriver une heure trente après avoir quitté le territoire des AFARS et des ISSAS.
Alors qu’il faisait nuit et que je m’assoupissais dans mon fauteuil en regardant
… un peu inquiet….le rougeoiement des tuyauteries des moteurs, je reçus brusquement du
champagne sur la tête. Je pensai à une maladresse du steward ou de mon hôtesse préférée, mais non ! C’était volontaire et
gentil : je
venais d’être baptisé par Neptune….Et
oui ! J’avais franchi
« LA LIGNE » et je
méritais un diplôme d’honneur. Je n’étais pas peu fier ! Je m’endormis peu après, gonflé d’orgueil.
La suite du vol fut calme. Vers midi nous survolâmes TANANARIVE, le pilote nous invita à
découvrir la Capitale au travers des hublots alors qu’il inclinait l’appareil en amorçant son virage et s’alignait pour un atterrissage à
ARIVONIMAMO.
(Il s’agit d’un ancien terrain qui desservait TANA dans les années 50)
Celui-ci me parut très proche de la
ville. Posés,
nous fûmes invités à
récupérer Nos bagages et à prendre une collation. Je retrouvai ma petite valise et
décidai alors …….de fausser compagnie à
tout
ce monde et de me rendre à
pied à la
capitale sans toucher à
la collation prévue. En fait, la ville était située à près de soixante kilomètres !!!
Après environ….une
heure de marche, je
fus
rejoint par le
car
des passagers et le
bus
de l’équipage. Je ne vous décrirai pas le nouveau
contact avec « mon hôtesse » ! Pour mettre un peu
plus
de piment, je fus accusé, plus tard,…..d’avoir détourné le complément de bagages de
l’épouse du militaire. Celle-ci n’avait pas retrouvé ses paquets, peut être descendus par erreur à
DJIBOUTI, et avait supposé que j’étais parti avec !...
Il nous fallut plus de deux heures pour rejoindre TANA.
A 17 heures, j’étais enfin à l’hôtel où je devais attendre une micheline en partance pour TAMATAVE le lendemain matin à
6 heures 30 . Cet hôtel se trouvait à
environ 200 mètres de la gare au bout de l’avenue Jeanne d’Arc, devenue Avenue de l’Indépendance.
Je décidai alors de prendre une douche et de
faire une courte sieste avant de dîner. La nuit tropicale venait de tomber, la
ville s’animait, je
m’endormis comme une « bête
exténuée », pour me réveiller en sursaut. Bigre, il était
six
heures quinze !!!
Persuadé d’avoir dormi toute une nuit, je ramassai mes petites affaires et courus vers la
gare
sans demander mon compte au gardien de l’hôtel. Dans la
gare….., le vide. Un balayeur m’expliqua
que le
prochain train était
à ….6 heures le lendemain. Panique totale ! Qu’allait penser mon père
et comment le prévenir ?......Je retournai à l’hôtel, dépité, et retrouvai mon gardien à
l’accueil qui
n’avait pas compris ma fuite éperdue et me
demanda si j’avais mangé ? C’est seulement à ce moment là
que je
compris que je n’avais dormi qu’une heure et non une nuit ! J’avais donc une
« vraie » nuit à
passer ici ! Quelle bévue ! Je disposais, à
présent, de tout mon temps pour
grignoter quelques plats typiques et
je sortis me promener au milieu des étals des femmes
malgaches, assises sur le
trottoir, éclairées par des bougies. Ça sentait bon, les aliments piquaient
un peu la gorge, la
fumée de ma
cigarette piquait un peu les yeux, mais QUE J’ÉTAIS
GRAND !!! Je rentrai et
me couchai, bercé par le ronflement du ventilateur de la chambre. Le lendemain, je
me réveillais péniblement…..il faisait grand jour et il était…..7
heures !!!
Cette fois c’était la tuile totale ! J’étais paniqué. Je pliai tout et, sans me laver ni manger, je
« rushai » vers la
gare à 200 mètres. La
ville grouillait déjà d’une intense activité. Bien entendu,
ma « micheline » était
partie !
Solution :
je
pouvais prendre un train mixte, passagers - marchandises, type Colombien qui
partait
pour TAMATAVE à 9 heures avec arrivée prévue à ……18h 30. Ce
que je
fis, mais impossible de prévenir mon Père. Qu’importe un EMP’S se débrouille toujours. Je retournai à
l’hôtel, pris calmement mon petit déjeuner et
allumai ma première cigarette de la journée avec
mon
superbe briquet « Feudor
» payé en rognant sur l’argent de poche donné par ma Grand-mère au départ de GOURIN…….Que
c’était loin, déjà, dans ma
tête
!!
A 9 heures, je
montais dans ce fameux train d’une dizaine de wagons
tractés par
une locomotive plus que folklorique. Je croyais avoir tout vu avec mon train à
vapeur ROSPORDEN-CARHAIX via GOURIN….., la
transversale Sud - Nord Bretagne. Là
ça dépassait toute imagination ! Je me
retrouvais au milieu de bananes
séchées, de volailles,
porcelets, casseroles et soubiques (paniers) pleines à
craquer, assis entre une ramatou-bé (vielle
maman) et
ses
deux petits zazakely (enfants). Ce voyage
en chemin de fer
(locution tout à fait adaptée) fut une merveille. En dépensant une misère de francs CFA, je mangeais d’excellents produits locaux proposés par les voisins ou marchandés
lors des multiples haltes du train.
A midi ce fut le
summum ! Nous arrivâmes à la
gare
du PERINNET (l’ingénieur qui participa à la
construction de la voie avait donné son au village). Là, les trains montant et descendant se
croisaient. En effet cette ligne ne possédait qu’une voie unique !!! C’est encore le
cas aujourd’hui.
Autre curiosité, celle-ci faisait un tour complet du même piton. J’ai supposé que c’était pour éviter une trop grande pente !
Repas au restaurant durant la halte en gare. Les « montants » parlaient du port de TAMATAVE. Les rares « vazaha » (blancs) évoquant des noms curieux : Jean Laborde, Pierre Loti, La
Bourdonnais . Que venaient donc faire, dans les conversations, ces gens célèbres ?
J’appris rapidement qu’il s’agissait des grands paquebots des « Messageries Maritimes » assurant les liaisons Marseille – Océan Indien avec escale de deux ou trois jours à
TAMATAVE où j’allais
résider ! Les « descendants », dont je
faisais partie, parlaient de la vie chère à
la capitale, de leurs excursions sur les plateaux….de leur séjour à l’hôpital GIRARD et ROBIC.
Étrange cet échange
de nouvelles de vive voix et surtout sur un ton de plus en plus élevé au bout d’une heure de kabary (discussion) ponctuée de Rhums et
autres alcools….Vers 14 heures, les
deux trains démarrèrent vers leur destination finale. Mes yeux ne furent pas assez grands pour
embrasser tous ces paysages : la
vallée de la
MANDRAKA, la forêt primaire puis l’arrivée sur la
côte
est. Vers quinze heures, on se mit à danser dans le
wagon au son d’un accordéon accompagné par plusieurs « percussionnistes » qui tapaient sur des gamelles. Musique très rythmée, les femmes balançaient les hanches
de façon plus que suggestive : je
découvrai le
« SEGA » ! Quand nous arrivâmes en gare de TAMATAVE il
faisait nuit…..
J’étais saoul de rires, de paroles, de danse, d’odeurs fortes, la tête déjà pleine de merveilleux
souvenirs. J’avais cependant une petite appréhension ! J’allais retrouver mon Père…..!
Les retrouvailles furent brèves et gênées. Prétextant la fatigue, je m’engouffrai dans l’Ondine-Renault de mon Capitaine de Père. Je retrouvai mon demi-frère et
ma demi-sœur ainsi que ma Belle Mère à la
villa de fonction située : cité Bazeilles.
Ma belle mère était
une
très belle métisse réunionnaise d’origine Hindoue et
Bretonne…qui excellait dans la préparation des plats exotiques. Elle nous
avait préparé un remarquable sakafo
(repas) créole à base de Carry.
Dernière anecdote du premier contact :
à la
fin du repas mon Père Sam s’apprêta à
allumer une
cigarette et, par réflexe, me
tendit son paquet de « Malboro ». Je refusai poliment et ….sortis une
gauloise écrasée de la poche arrière de mon pantalon. Profitant de la surprise, je le
sidérai en lui
offrant la
flamme de
mon « Feudor » (vous connaissez !). J’avais un temps d’avance sur lui et allumai ensuite triomphalement mon « Clop » à
sa barbe.. ! Les présentation viriles avaient été rondement menées !!!
En ce
qui concerne la
suite du séjour, ce fut une succession de découvertes extraordinaires. J’avais oublié tous mes soucis scolaires, la
grisaille des automnes et
hivers des
Andelys. Je sortais presque tous les soirs. Dans la journée j’allais souvent me baigner sur l’immense plage en direction de FOULPOINTE à la
sortie de TAMATAVE. L’Océan Indien y
déversait ses rouleaux gigantesques et
sublimes qui déclanchaient, en moi, de réelles poussées
d’adrénaline. Mais quel plaisir de braver le
danger ! Il paraît que parfois les requins passaient par là
au moment des cyclones…….pas de cyclone, donc pas de requins et je ne me privais pas de surfer (sans planche, ça n’existait pas encore!) sur ces gigantesques déferlantes.
Cette vie paradisiaque trouva sa fin au mois de septembre avec, encore une
fois, un incident dont j’ai gardé le
souvenir. Il me
fallait rentrer. J’avais oublié que les Andelys,
son brouillard, ses « corvées » de feuilles de marronniers à ramasser et
brûler, existaient.
Le Retour :
Mon Père décida de faire le point avec moi afin d’organiser mon voyage retour. Les conditions du trajet étaient certainement fixées par le
carnet à souche que je détenais dans
ma si bonne valise. Mais….. Horreur ! Catastrophe ! Point de feuillet « Retour ». A priori, il avait dû être dégrafé avec le coupon
« Aller » lors du contrôle d’embarquement à Orly. L’affaire
se présentait mal. Mon Père et toute ma famille allaient en pâtir. En effet, toute la
tribu allait
devoir rentrer en Métropole pour que je
puisse bénéficier du retour gratuit !!!
Un grand moment de panique pour l’EMP’S et de colère pour le
Père Sam.
Après 24 heures d’angoisse, l’État Major de TANANARIVE voulut bien admettre la gaffe commise par ce satané Enfant de Troupe et m’autorisa à rentrer seul en France avec
un « Billet
tout
neuf ».
Le retour fut beaucoup moins mouvementé. J’avais du chagrin de quitter un si beau
pays et je tins à
ne plus me
faire remarquer. C’était peut être cela, la maturité !
Ce chagrin fut compensé par l’idée que j’allais avoir tellement de choses
à raconter à mes
« potes ». Je savais aussi que je
reviendrais un jour. L’avenir me
donna raison et ce
moment arriva assez vite. Mais cela……c’est une autre histoire !