Jean-Yvon Février


Pourquoi "Moutonsss ?"

Le décor En 1956, j’avais 14 ans, mon Père, le Capitaine FÉVRIER Sam, des Troupes de Marine, à son retour d’Indochine, venait dêtre affecté à TAMATAVE à Madagascar.






Javais, encore trop jeune, manqué le « voyage » en Indochine. Dien Bien Phu, je l’avais vécu, comme tous mes copains, au Garde à Vous devant le monument aux Morts de l’École. Cette fois ci, il métait proposé de rejoindre la « Grande île » pour y passer mes grandes vacances.
Mon Père mavait donné le feu vert depuis là-bas ! A moi de me débrouiller pour les vaccins, le Passeport, le paquetage.

Orphelin de Mère, dès ma naissance, j’avais été élevé par mes Grands Parents paternels, en Bretagne. Javais déjà trois années de « boite » aux Andelys. Jétais un Ancien
et jallais passer de lautre té de lAllée centrale. Tout un symbole ! Les EMPS des Andelys se souviendront de ce passage obligé pour être parmi les « Grands ».

Au départ, tout paraissait simple : je connaissais assez bien Paris pour y avoir souvent « glandé » (notre vocabulaire de lépoque) entre mon arrivée à 07 heures du matin, gare du Maine, en provenance de mon village natal KEROMNES en GOURIN et notre part tous groupés dans le train en partance, gare SAINT Lazare, à destination de GAILLON et LES ANDELYS. Ce fameux et mémorable train de 17 heures 55 ! Cette fois ci, cétait une autre affaire : j’allais effectuer un voyage intercontinental !

Après une nuit passée au Centre de Transit de Reuilly, javais récupéré mes billets davion et pu rejoindre sans trop de difficultés l aéroport dOrly.

Jallais embarquer sur un quadrimoteur de la TAI ( Transports Aériens Intercontinentaux !) en partance pour TANANARIVE avec escale à DJIBOUTI.

A priori tout était clair. Le toubib des Andelys, le Commandant REVERSAT, mavait truffé de vaccins ai en cela par le Centre de Vaccination antiamarile PASTEUR. Jétais donc vacci contre la fièvre jaune, la variole, le choléra, la polio…et autres TAB !
Peu de temps avant mon départ, lorsque je fantasmais sur mon voyage, avec mes camarades de chambrée, je parlais de « Yellow fever » et de « Small pox »….Ça classait son homme !!
Enfin, le 4 juillet 1956 jallais commencer un voyage, qui allait être certainement la plus grande aventure de ma pré adolescence, marqué par cinq incidents mémorables……

Le Voyage :

Dès le départ, je fus très entouré. Deux femmes, jeunes et jolies, sintéressèrent à moi. La première, une tesse de l’air, me prit officiellement en compte à l’embarquement (ça ne mest plus jamais arri …) La seconde était lépouse dun militaire qui rejoignait son mari à Madagascar et avait largement dépassé son droit autori en bagages. Ne possédant, personnellement, quune petite valise, elle me sollicita pour prendre, à mon compte, son excédent de colis….Je mempressai de lui donner satisfaction. La suite prouva que javais eu tort ...
Je passerai sur lémotion du premier décollage de ma vie, du premier atterrissage à …… NICE, pour y embarquer quelques résidents du sud de la France.
Tout était merveilleux ! Puis je quittai enfin le sol français pour….DJIBOUTI . Diable non ! après trois heures de vol, le Commandant de bord nous annonça une avarie de moteur !
…..heureusement il y en avait quatre !...et que nous allions devoir nous poser, D.Q.P (dès que possible) à ….TRIPOLI en LIBYE. Cétait bien ma veine.
La panne étant importante on nous invita à prendre notre jeuner au restaurant de l’aéroport. Il y avait du « Chianti » sur les tables (ex.colonie italienne oblige !) et une temrature extérieure denviron 40° à l’ombre. Une cigarette après le dessert pour faire comme tout le monde, je sortis de table…..ivre ! Là, eut lieu le premier incident, au moment de monter dans l’avion. Lesprit « troublé », cest un euphémisme, par la chaleur, la cigarette et le reste, je ne suivis pas litiraire prescrit pour rejoindre la passerelle etpassai sous les hélices… Sévèrement réprimandé par le commandant de bord, je devins dans la minute, lennemi
« Numéro 1 » de ma chère tesse convoyeuse !
Lescale suivante fut bien : DJIBOUTI
Pressé de sortir, après avoir été « fleetoxé » par des agents de l’aéroport qui avaient envahi l’avion dès louverture des portes, je fus anéanti par la chaleur étouffante et moite qui régnait dehors.
Une seule envie, retourner au plus vite dans la carlingue pour y retrouver l’air climatisé.
Je passai cependant deux heures sur cet aéroport à regarder les énormes insectes et papillons de nuit qui sagglutinaient autour et au pied des projecteurs de piste. Ce fut donc avec une joie non dissimulée que nous remontâmes tous dans lavion.
Un autre incident, cette fois plus agréable, allait marriver une heure trente après avoir quitté le territoire des AFARS et des ISSAS.

Alors qu’il faisait nuit et que je massoupissais dans mon fauteuil en regardant
… un peu inquiet.le rougeoiement des tuyauteries des moteurs, je reçus brusquement du champagne sur la tête. Je pensai à une maladresse du steward ou de mon tesse préférée, mais non ! Cétait volontaire et gentil : je venais dêtre baptisé par Neptune….Et oui ! Javais franchi

« LA LIGNE » et je méritais un diplôme dhonneur. Je nétais pas peu fier ! Je mendormis peu après, gonflé dorgueil.
La suite du vol fut calme. Vers midi nous survolâmes TANANARIVE, le pilote nous invita à découvrir la Capitale au travers des hublots alors quil inclinait lappareil en amorçant son virage et salignait pour un atterrissage à ARIVONIMAMO.

(Il sagit dun ancien terrain qui desservait TANA dans les anes 50)
Celui-ci me parut très proche de la ville. Posés, nous fûmes invités à récupérer Nos bagages et à prendre une collation. Je retrouvai ma petite valise et décidai alors …….de fausser compagnie à tout ce monde et de me rendre à pied à la capitale sans toucher à la collation prévue. En fait, la ville était située à près de soixante kilomètres !!!
Après environ….une heure de marche, je fus rejoint par le car des passagers et le bus de l’équipage. Je ne vous décrirai pas le nouveau contact avec « mon tesse » ! Pour mettre un peu plus de piment, je fus accusé, plus tard,…..davoir tourné le compment de bagages de l’épouse du militaire. Celle-ci navait pas retrouvé ses paquets, peut être descendus par erreur à DJIBOUTI, et avait supposé que jétais parti avec !...
Il nous fallut plus de deux heures pour rejoindre TANA. A 17 heures, jétais enfin à l’tel je devais attendre une micheline en partance pour TAMATAVE le lendemain matin à
6 heures 30 . Cet hôtel se trouvait à environ 200 mètres de la gare au bout de l’avenue Jeanne dArc, devenue Avenue de l’Indépendance.
Je décidai alors de prendre une douche et de faire une courte sieste avant de dîner. La nuit tropicale venait de tomber, la ville sanimait, je mendormis comme une « te
exténuée », pour me réveiller en sursaut. Bigre, il était six heures quinze !!!
Persuadé davoir dormi toute une nuit, je ramassai mes petites affaires et courus vers la gare sans demander mon compte au gardien de l’tel. Dans la gare….., le vide. Un balayeur mexpliqua que le prochain train était à ….6 heures le lendemain. Panique totale ! Quallait penser mon re et comment le prévenir ?......Je retournai à ltel, dépité, et retrouvai mon gardien à l’accueil qui navait pas compris ma fuite éperdue et me demanda si javais mangé ? Cest seulement à ce moment là que je compris que je navais dormi quune heure et non une nuit ! Javais donc une
« vraie » nuit à passer ici ! Quelle vue ! Je disposais, à présent, de tout mon temps pour grignoter quelques plats typiques et je sortis me promener au milieu des étals des femmes malgaches, assises sur le trottoir, éclairées par des bougies. Ça sentait bon, les aliments piquaient un peu la gorge, la fumée de ma cigarette piquait un peu les yeux, mais QUE JÉTAIS
GRAND !!! Je rentrai et me couchai, ber par le ronflement du ventilateur de la chambre. Le lendemain, je me réveillais péniblement…..il faisait grand jour et il était…..7 heures !!! Cette fois c’était la tuile totale ! Jétais paniqué. Je pliai tout et, sans me laver ni manger, je
« rushai » vers la gare à 200 mètres. La ville grouillait déjà dune intense activité. Bien entendu,
ma « micheline » était partie !

Solution : je pouvais prendre un train mixte, passagers - marchandises, type Colombien qui partait pour TAMATAVE à 9 heures avec arrivée prévue à …18h 30. Ce que je fis, mais impossible de prévenir mon re. Quimporte un EMPS se débrouille toujours. Je retournai à l’tel, pris calmement mon petit déjeuner et allumai ma première cigarette de la journée avec mon superbe briquet « Feudor » payé en rognant sur largent de poche donné par ma Grand-mère au départ de GOURIN…….Que cétait loin, déjà, dans ma tête !!

A 9 heures, je montais dans ce fameux train dune dizaine de wagons tractés par une locomotive plus que folklorique. Je croyais avoir tout vu avec mon train à vapeur ROSPORDEN-CARHAIX via GOURIN….., la transversale Sud - Nord Bretagne. Là ça dépassait toute imagination ! Je me retrouvais au milieu de bananes séces, de volailles,

porcelets, casseroles et soubiques (paniers) pleines à craquer, assis entre une ramatou- (vielle maman) et ses deux petits zazakely (enfants). Ce voyage en chemin de fer (locution tout à fait adaptée) fut une merveille. En dépensant une mire de francs CFA, je mangeais dexcellents produits locaux proposés par les voisins ou marchandés lors des multiples haltes du train.
A midi ce fut le summum ! Nous arrimes à la gare du PERINNET (l’ingénieur qui participa à la construction de la voie avait donné son au village). Là, les trains montant et descendant se croisaient. En effet cette ligne ne possédait quune voie unique !!! Cest encore le cas aujourdhui.
Autre curiosité, celle-ci faisait un tour complet du même piton. Jai supposé que cétait pour éviter une trop grande pente !
Repas au restaurant durant la halte en gare. Les « montants » parlaient du port de TAMATAVE. Les rares « vazaha » (blancs) évoquant des noms curieux : Jean Laborde, Pierre Loti, La Bourdonnais . Que venaient donc faire, dans les conversations, ces gens lèbres ? Jappris rapidement qu’il sagissait des grands paquebots des « Messageries Maritimes » assurant les liaisons Marseille Océan Indien avec escale de deux ou trois jours à TAMATAVE où j’allais résider ! Les « descendants », dont je faisais partie, parlaient de la vie chère à la capitale, de leurs excursions sur les plateaux….de leur jour à l’hôpital GIRARD et ROBIC.
Étrange cet échange de nouvelles de vive voix et surtout sur un ton de plus en plus élevé au bout dune heure de kabary (discussion) ponctuée de Rhums et autres alcools….Vers 14 heures, les deux trains marrèrent vers leur destination finale. Mes yeux ne furent pas assez grands pour embrasser tous ces paysages : la vallée de la MANDRAKA, la forêt primaire puis larrivée sur la côte est. Vers quinze heures, on se mit à danser dans le wagon au son dun accordéon accompagné par plusieurs « percussionnistes » qui tapaient sur des gamelles. Musique très rythmée, les femmes balançaient les hanches de façon plus que suggestive : je découvrai le
« SEGA » ! Quand nous arrivâmes en gare de TAMATAVE il faisait nuit…..
Jétais saoul de rires, de paroles, de danse, dodeurs fortes, la tête déjà pleine de merveilleux souvenirs. Javais cependant une petite appréhension  Jallais retrouver mon re…..!

Les retrouvailles furent brèves et gênées. Prétextant la fatigue, je mengouffrai dans lOndine-Renault de mon Capitaine de re. Je retrouvai mon demi-frère et ma demi-sœur ainsi que ma Belle Mère à la villa de fonction située : cité Bazeilles.



Ma belle mère était une très belle métisse réunionnaise dorigine Hindoue et Bretonne…qui excellait dans la préparation des plats exotiques. Elle nous avait préparé un remarquable sakafo (repas) créole à base de Carry.
Dernière anecdote du premier contact : à la fin du repas mon re Sam sapprêta à allumer une cigarette et, par réflexe, me tendit son paquet de « Malboro ». Je refusai poliment et ….sortis une

gauloise écrasée de la poche arrière de mon pantalon. Profitant de la surprise, je le sidérai en lui offrant la flamme de mon « Feudor » (vous connaissez !). J’avais un temps davance sur lui et allumai ensuite triomphalement mon « Clop » à sa barbe.. ! Les présentation viriles avaient été rondement menées !!!

En ce qui concerne la suite du jour, ce fut une succession de découvertes extraordinaires. Javais oublié tous mes soucis scolaires, la grisaille des automnes et hivers des Andelys. Je sortais presque tous les soirs. Dans la journée j’allais souvent me baigner sur l’immense plage en direction de FOULPOINTE à la sortie de TAMATAVE. LOcéan Indien y déversait ses rouleaux gigantesques et sublimes qui déclanchaient, en moi, de réelles poussées dadrénaline. Mais quel plaisir de braver le danger ! Il paraît que parfois les requins passaient par là au moment des cyclones…….pas de cyclone, donc pas de requins et je ne me privais pas de surfer (sans planche, ça nexistait pas encore!) sur ces gigantesques ferlantes.




Cette vie paradisiaque trouva sa fin au mois de septembre avec, encore une fois, un incident dont j’ai gar le souvenir. Il me fallait rentrer. Javais oublié que les Andelys, son brouillard, ses « corvées » de feuilles de marronniers à ramasser et brûler, existaient.



Le Retour :

Mon re cida de faire le point avec moi afin dorganiser mon voyage retour. Les conditions du trajet étaient certainement fixées par le carnet à souche que je tenais dans ma si bonne valise. Mais….. Horreur ! Catastrophe ! Point de feuillet « Retour ». A priori, il avait être dégrafé avec le coupon « Aller » lors du contrôle dembarquement à Orly. Laffaire se présentait mal. Mon re et toute ma famille allaient entir. En effet, toute la tribu allait devoir rentrer en Métropole pour que je puisse bénéficier du retour gratuit !!!
Un grand moment de panique pour lEMPS et de colère pour le Père Sam.

Après 24 heures dangoisse, l’État Major de TANANARIVE voulut bien admettre la gaffe commise par ce satané Enfant de Troupe et mautorisa à rentrer seul en France avec un « Billet tout neuf ».

Le retour fut beaucoup moins mouvementé. Javais du chagrin de quitter un si beau pays et je tins à ne plus me faire remarquer. Cétait peut être cela, la maturité !
Ce chagrin fut compensé par lidée que j’allais avoir tellement de choses à raconter à mes
« potes ». Je savais aussi que je reviendrais un jour. Lavenir me donna raison et ce moment arriva assez vite. Mais cela……cest une autre histoire !