25 janvier 2017

Michel Dufils : Dernière lettre à un ami (Jean Bouloumie (LA1957/... ) décédé le 15 décembre 2016)

Dernière lettre à un ami
Eté 1957 – C ’est par l’entremise de nos mères que nous sommes devenus amis.  Pendant que nous piochions, à la caserne Tilly d’Evreux, pour le concours d’admission aux EMP, elles s’étaient entendues, confiantes dans notre réussite, pour que nous puissions nous revoir et devenir ainsi copains ; maternelle sollicitude tant la renommée des écoles d’enfants de troupe était celle d’une dure discipline. J’ai refait cette année, en famille, un pèlerinage à Cormeilles, ce joli village normand où tu habitais, me remémorant cette rencontre d’il y a 60 ans. Je n’imaginais pas que ce clin d’œil au passé puisse être prémonitoire.                                                                                                                           Septembre 1957 – Les « bleus » que nous sommes se retrouvent dans la même classe, Ouf !                                                                                                           
                                                          A l’EMP, une voie royale nous était tracée ; à chacun, selon sa volonté, de prendre le chemin qui lui convenait. Pour moi, ce fut « bourlinguer » sur les mers du globe ; pour toi, c’est l’Afrique qui va t’accaparer pendant près de 30 ans, après que de longues et difficiles études vont faire de toi un médecin de l’armée française.  C’est à Autun que cette vocation t’est venue, un prof va te passionner avec un sujet de sciences naturelles qui sera ton …tirage au sort pour l’épreuve orale d’entrée à l’Ecole de santé navale de Bordeaux.                                                                                                      Tu as aimé l’Afrique, tu l’as servie, pour l’honneur de notre pays.  A M’Dendé, au Gabon, à M’Gaoumdéré, au Cameroun, tu vas parcourir la brousse, pour dépister, vacciner, créer des villages médicaux pour raccourcir les distances, recevoir les étudiants en médecine, soigner les populations qui t’étaient confiées, « en vrai patron ». Tu y as, aussi, vécu les dramatiques évènements du Rwanda et, confronté à des risques d’exactions sur certains de tes patients, tu as prévenu « que tu ferais la police toi-même »si de telles velléités se présentaient ; défenseur des faibles en toutes circonstances. Acteur d’une noble mission, tu savais recevoir, avec humilité, de vivantes leçons : lors d’une de tes premières interventions chirurgicales en brousse, ton infirmier africain va guider ta main, anticipant ton geste, l’accompagnant d’un « bon conseil » ; tu en étais encore ému en me racontant l’anecdote. Une première alerte de santé, à Conakry en Guinée et c’est le rapatriement au Val de Grâce. L’âge fatidique de la retraite arrive, il n’y a pas de dérogation à la règle militaire et tu le regrettes « j’aurais pu servir encore quelques années en Afrique ». Toujours servir !                                                                                                  2012 : Il a fallu 50 années avant que l’on se revoie. J’avais retrouvé ton nom en consultant, par hasard, le blog de l’EMP des Andelys. Et c’est ainsi que j’ai retrouvé « Boulou », personnalité de la section AET des Andelys.  Bernard Dupas, un des anciens de notre section m’écrit « c’était un personnage attachant, dévoué à la cause AET ». Madame le maire des Andelys (d’un précédent mandat municipal) en fera l’expérience :  peu encline à valoriser le passé de notre école d’enfants de troupe, elle doit se souvenir de la façon dont tu as brocardé sa réticence à nommer une « rue des Enfants de Troupe » près de notre école.                                        
                                     2013- Tu as passé ta vie à soigner les autres et tu as oublié de penser à toi.  Ta santé a vacillé, avec un diagnostic brutal. Lorsque j’allais te voir à l’hôpital, tu me présentais toujours au personnel médical « voilà un ami, un vieil ami, on a passé ensemble le concours d’entrée aux enfants de troupe » Je souriais, non sans fierté, à cette apostrophe amicale mais je doutais que ces jeunes personnes sachent vraiment ce que signifiait « enfant de troupe ».  Néanmoins, médecin-colonel AET, elles découvrirent que ça voulait dire :« personne de caractère ».  L’infirmière qui a fait ta première dialyse s’en rappelle : c’était ma nièce ! une « Martine, infirmière » comme ton épouse.                                                                              Car du caractère tu en as toujours eu : en classe de 1ère, ne t’étais tu pas « accroché » avec le commandant de l’école (sans suite m’as-tu rassuré) mais il fallait oser !                                                    C’est avec courage que tu as affronté cette situation douloureuse de la maladie, masquant crânement ta souffrance morale, mais bien déterminé à redevenir autonome.                                                                                                C’est avec joie que tu m’as salué comme ton successeur de trésorier à notre section, heureux que ce soit « un gars de la promo 57, les meilleurs !» as-tu ajouté. Dernière référence à notre entrée commune chez les « enfants de troupe ».                                                                                                                       Décembre 2016 – Tu es hospitalisé pour une coronographie, tu rassures ton épouse, « je t’appelle dès que je sors, »… c’est l’hôpital qui rappellera Martine…. Notre « Boulou » s’en est allé.                                                                                                                                                       A Martine, à Olivier, Fabien, Martial, vos enfants, au nom de tous les AET, je redis notre tristesse et présente nos sincères condoléances. Adieu, l’ami Jean !

Michel Dufils, trésorier de la section Les Andelys et Normandie