Dernière lettre à un ami
Eté 1957 – C ’est par l’entremise de nos mères que nous
sommes devenus amis. Pendant que nous
piochions, à la caserne Tilly d’Evreux, pour le concours d’admission aux EMP,
elles s’étaient entendues, confiantes dans notre réussite, pour que nous
puissions nous revoir et devenir ainsi copains ; maternelle
sollicitude tant la renommée des écoles d’enfants de troupe était celle
d’une dure discipline. J’ai refait cette année, en famille, un pèlerinage à
Cormeilles, ce joli village normand où tu habitais, me remémorant cette rencontre d’il y a 60 ans. Je n’imaginais pas que ce
clin d’œil au passé puisse être prémonitoire.
Septembre
1957 – Les « bleus » que nous sommes se retrouvent dans la même
classe, Ouf !
A l’EMP, une
voie royale nous était tracée ; à chacun, selon sa volonté, de prendre le
chemin qui lui convenait. Pour moi, ce fut « bourlinguer » sur les mers du
globe ; pour toi, c’est l’Afrique qui va t’accaparer pendant près de 30
ans, après que de longues et difficiles études vont faire de toi un médecin de
l’armée française. C’est à Autun que
cette vocation t’est venue, un prof va te passionner avec un sujet de sciences
naturelles qui sera ton …tirage au sort pour l’épreuve orale d’entrée à l’Ecole
de santé navale de Bordeaux. Tu as aimé l’Afrique, tu l’as servie, pour l’honneur de notre pays. A M’Dendé, au Gabon, à M’Gaoumdéré, au
Cameroun, tu vas parcourir la brousse, pour dépister, vacciner, créer des
villages médicaux pour raccourcir les distances, recevoir les étudiants en
médecine, soigner les populations qui t’étaient confiées, « en vrai
patron ». Tu y as, aussi, vécu les dramatiques évènements du Rwanda et,
confronté à des risques d’exactions sur certains de tes patients, tu as prévenu
« que tu ferais la police toi-même »si de telles velléités se
présentaient ; défenseur des faibles en toutes circonstances. Acteur d’une
noble mission, tu savais recevoir, avec humilité, de vivantes leçons :
lors d’une de tes premières interventions chirurgicales en brousse, ton
infirmier africain va guider ta main, anticipant ton geste, l’accompagnant d’un
« bon conseil » ; tu en étais encore ému en me racontant
l’anecdote. Une première alerte de santé, à Conakry en Guinée et c’est le
rapatriement au Val de Grâce. L’âge fatidique de la retraite arrive, il n’y a
pas de dérogation à la règle militaire et tu le regrettes « j’aurais pu
servir encore quelques années en Afrique ». Toujours servir ! 2012 :
Il a fallu 50 années avant que l’on se revoie. J’avais retrouvé ton nom en
consultant, par hasard, le blog de l’EMP des Andelys. Et c’est ainsi que j’ai
retrouvé « Boulou », personnalité de la section AET des Andelys. Bernard Dupas, un des anciens de notre
section m’écrit « c’était un personnage attachant, dévoué à la cause
AET ». Madame le maire des Andelys (d’un précédent mandat municipal) en
fera l’expérience : peu encline à
valoriser le passé de notre école d’enfants de troupe, elle doit se souvenir de
la façon dont tu as brocardé sa réticence à nommer une « rue des Enfants
de Troupe » près de notre école.
2013- Tu as passé ta vie à soigner les autres et tu as oublié de penser
à toi. Ta santé a vacillé, avec un
diagnostic brutal. Lorsque j’allais te voir à l’hôpital, tu me présentais
toujours au personnel médical « voilà un ami, un vieil ami, on a passé
ensemble le concours d’entrée aux enfants de troupe » Je souriais, non
sans fierté, à cette apostrophe amicale mais je doutais que ces jeunes
personnes sachent vraiment ce que signifiait « enfant de
troupe ». Néanmoins, médecin-colonel
AET, elles découvrirent que ça voulait dire :« personne de
caractère ». L’infirmière qui a
fait ta première dialyse s’en rappelle : c’était ma nièce ! une
« Martine, infirmière » comme ton épouse.
Car du caractère tu en as toujours eu : en classe de 1ère, ne
t’étais tu pas « accroché » avec le commandant de l’école (sans
suite m’as-tu rassuré) mais il fallait oser !
C’est avec courage que tu as affronté cette situation douloureuse de la
maladie, masquant crânement ta souffrance morale, mais bien déterminé à
redevenir autonome.
C’est avec joie que tu m’as salué comme ton successeur de trésorier à
notre section, heureux que ce soit « un gars de la promo 57, les
meilleurs !» as-tu ajouté. Dernière référence à notre entrée commune chez
les « enfants de troupe ».
Décembre
2016 – Tu es hospitalisé pour une coronographie, tu rassures ton épouse,
« je t’appelle dès que je sors, »… c’est l’hôpital qui rappellera
Martine…. Notre « Boulou » s’en est allé. A
Martine, à Olivier, Fabien, Martial, vos enfants, au nom de tous les AET, je
redis notre tristesse et présente nos sincères condoléances. Adieu, l’ami
Jean !
Michel Dufils, trésorier de la section Les Andelys et
Normandie